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Le Président

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Ils étaient tous assis à la même table. En fait, plusieurs tables étaient alignées dans le même sens formant un L. Comme pour former une grande famille. Ils étaient pourtant différents. Les amateurs de malbouffe, les végétariens, ceux qui ne juraient que par les salades. Tous différents mais tous réunis comme pour un conseil de famille. Avec lui au centre. Ses repas variaient d’un jour à l’autre. Mets préparés achetés à l’épicerie multiculturelle, comme pour souligner la différence qu’il y avait entre eux tous qui étaient malgré tout réunis à la même table. Parfois, il apportait un plat qu’il avait préparé chez lui. Divorcé depuis longtemps, il cuisinait lui-même mais ne réussissait pas toujours ses recettes. Il s’entêtait pourtant à manger ce qu’il avait fait. Même si l’aspect ou encore la texture ne lui semblaient pas si appétissants. Il jetait parfois un petit coup d’œil rapide et envieux au plat de l’un ou l’autre à la table.  Il n’osait toutefois jamais demander à goûter. Ça ne se faisait tout simplement pas. Et il animait la conversation. Parlait de sa passion pour les bateaux. Ou encore donnait des nouvelles ou commentait les actions de telle ou telle personne de sa connaissance.

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« Charles-Henri est vraiment incroyable. Ce type, c’est le roi de la négociation. Il n’achète jamais au prix annoncé. Il commence ses salades et il finit toujours par obtenir ce qu’il veut. Il s’est déjà fait passer pour rabbin. Je voulais rentrer sous terre. Il a prétendu une autre fois être originaire du même village que le vendeur en se servant de détails qu’il a réussi à soutirer au pauvre mec. Il a même réussi à acheter le même bateau que moi au même vendeur pour moins cher.

Il est quand même culotté. L’autre jour, il dit à sa femme : Bertha, arrête de t’empiffrer. Tes fesses deviennent trop grosses. Non, mais il est con. Il fait 150 livres au moins et marche en écartant les jambes. Heureusement qu’elle ne l’écoute pas. »

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Ceux qui l’écoutaient ne connaissaient pourtant pas les personnes dont il parlait. Ils posaient, quand même, parfois des questions. Il s’empressait de donner les réponses, convaincu de l’intérêt porté à ce sujet.

D’autres fois, il lançait de petites piques à l’un ou l’autre de ses interlocuteurs.

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« Ça ne se passe pas comme ça dans votre pays, n’est-ce pas. Les femmes savent rester à leur place. »

« Ah vous! On peut dire que vous savez faire des cadeaux à votre femme. Des pneus quatre saisons pour l’été. Ou encore une nouvelle couscoussière. Vous avez les pieds sur terre. »

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Son sujet de prédilection restait toutefois le nouveau président du pays voisin. Tout était pour lui prétexte à raillerie. Ses publications sur les réseaux sociaux, sa posture lors d’une photo officielle, les regards peu amènes qu’il lançait à son épouse ou même les poignées de mains échangées avec des dignitaires d’autres pays. Et, évidemment, la vague de licenciement que le nouveau président avait entamée dans son cabinet. On entendait chaque jour aux nouvelles que tel ou tel membre du cabinet avait été limogé. Certains membres congédiés se lançaient d’ailleurs dans la publication de livres avec force détails sur les dessous du gouvernement, révélant des scandales qu’on ne soupçonnait pas.

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« Décidément, son cabinet ne doit pas en mener large. Il parait qu’ils gardent leur manteau à l’intérieur. Ils ne savent jamais quand ils vont être virés. Incroyable, non mais, incroyable. »

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Et son voisin d’en face d’acquiescer, tout en frissonnant dans sa pelure d’agneau.

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