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Apocalypse

Il faisait nuit noire, malgré le croissant de lune, quand la taupe émergea dans une marée poisseuse. Elle secoua son pelage mouillé, tendit sa tête dans toutes les directions à la recherche d’un bout de terrain sec. Elle n'en perçut aucun à proximité et continua à avancer à petits coups de queue. Elle ne décelait aucune faune et nageait doucement, ménageant ses forces.
Au bout d’un moment, elle sentit, sous ses pattes, des racines et s'agrippa, s'aidant de ses petites dents tranchantes. Elle se hissa péniblement sur un tronc noirâtre creux, traversé de part en part par de petites branches argentées. Le tronc était à moitié immergé, aussi la taupe grimpa au sommet pour reprendre son souffle, se maintenant en équilibre sur les branchages. Elle n’avait pas vraiment l’habitude de se mouvoir à la nage et se sentait essoufflée. Elle se roula en boule précautionneusement, de peur de tomber et s’endormit aussitôt.
À son réveil, elle observa les environs. L’eau, comme les airs, était vide de toute vie animale. Seules quelques végétations brunes occupaient les fonds marins. Disposant de longues racines, elles paraissaient formées d’un mélange d’alliages et d'une matière noire, semblable à celle qui composait le tronc qui lui servait de siège. Ici et là, quelques lianes en boucles, à l’aspect métallique, semblaient suspendues dans les airs. La marée ne semblait pas avoir de fin et s’étendait au loin, sans nulle trace de terre ferme aux alentours.
La taupe commençait à ressentir la faim. Elle abaissa son museau et planta ses petites dents à l’extérieur du tronc, arrachant un bout noirâtre. Elle le rejeta aussitôt. Il n’avait aucun goût et une texture caoutchouteuse. La taupe mordit alors dans les branchages qui traversaient de part en part le tronc, espérant en extraire le suc. Hélas, ceux-ci étaient bien trop durs et firent vibrer les dents de la pauvre bête. Affamée, assoiffée, elle jeta un oeil sur les alentours, cherchant un cours d’eau douce où elle pourrait s’abreuver. N’en voyant pas, elle lapa à même la marée mais celle-ci était huileuse.
La taupe resta immobile un moment, regarda une dernière fois le décor fantasmagorique puis, elle refit en sens inverse le trajet et plongea dans l’eau. Retrouvant dans le fonds le tunnel qu’elle avait creusé, elle y enfouit son museau et s’y faufila pour retourner dans son terrier, dans les profondeurs de la terre.
Là, l’attendait une végétation luxuriante dans une clarté aveuglante. La taupe soupira d'aise.

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